C’est en tant que collectionneur qu’Etienne Moreau-Nélaton est le plus connu du public qui fréquente les musées et les expositions d’art ancien. Les présentes pages ne s’intéressent qu’à la partie de sa collection qu’il a donné à l’Etat par deux donations, une très importante en 1906, constituée principalement de tableaux, une seconde de quelques tableaux en 1919, enfin par un legs en 1927, comprenant surtout des dessins, des gravures et des lettres et documents rassemblés par Moreau-Nélaton sur les artistes dont il avait écrit – ou projeté d’écrire – une biographie.
La motivation du donateur est difficile à élucider, car il ne l’a jamais lui-même explicitée. Il faut donc s’en remettre aux rares témoignages de proches. Pour son ami Raymond Koechlin « S’il ne faisait pas, lui (Etienne Moreau-Nélaton) entrer dans nos musées ces peintres qu’il aimait entre tous, leur place n’y serait jamais ce qu’il souhaiterait qu’elle fût, qu’un lointain exil les attendait. » On peut aussi penser que plusieurs exemples, autour de lui, l’incitèrent à ce geste généreux : son père, avant lui, avait légué au Louvre une toile importante de Delacroix : « la barque de don Juan ». Son importante publication sur Les crayons français du XVIe siècle au musée Condé de Chantilly (1908) lui fit côtoyer la personnalité de son rassembleur, le duc d’Aumale, qui les avait légués à l’Institut en 1897, et qui fut sans doute pour lui un modèle, tout comme, dans une sphère toute différente, Jules Maciet, le bienfaiteur du musée des Arts décoratifs et de bien d’autres musées, disparu en 1910, et que Moreau-Nélaton connaissait certainement car ils étaient presque voisins de campagne dans l’Aisne. Enfin Raymond Koechlin lui-même, en tant que président de la société des amis du Louvre, put exercer une certaine influence sur son ami.
La donation de 1906, la plus importante des trois, sinon en quantité, où le legs de 1927 l’emporte assurément, mais par la qualité des œuvres, est connue pour être, après le legs Caillebotte de 1894, la première à faire entrer au musée du Luxembourg, antichambre du Louvre pour les artistes contemporains, une quantité significative de tableaux de peintres impressionnistes : neuf Monet, sept Sisley, cinq Manet, dont le fameux « Déjeuner sur l’herbe », mais aussi quarante Corot (tableaux achevés mais aussi simples études) et treize Delacroix. Cette donation précèdera de peu celles, d’importance comparable, d’Alfred Chauchard (1909) et d’Isaac de Camondo (1911).
La volonté d’Etienne Moreau-Nélaton, lorsqu’il réalisa ses différents dons, était que l’ensemble des tableaux et des dessins qu’il cédait à l’Etat se trouve réunis au Louvre, après un délai d’attente de quelques années pour les artistes considérés comme contemporains, soit la génération impressionniste et la suivante, qui devaient être hébergés, en attendant, au musée des Arts décoratifs. Le transfert de ces derniers au musée du Louvre fut bien effectué en 1934 – soit moins de dix ans après le legs – mais pour un court laps de temps puisque, dès le lendemain de la seconde guerre mondiale, par manque de place au Louvre, l’ensemble des tableaux de al période impressionniste fut transféré au musée du Jeu de Paume, qui pouvait, il est vrai, être considéré comme une annexe du Louvre. Cette situation perdura jusqu’en 1986, date du transfert au musée d’Orsay, créé pour accueillir toutes les formes d’art de 1850 à 1914, de la quarantaine de toiles de la collection relevant de cette période.
Les descendants d’Etienne Moreau-Nélaton consentirent à ce que sa collection soit, de ce fait, divisée en deux, contrairement aux dispositions testamentaires et à l’esprit même de la donation, par laquelle le collectionneur entendait montrer qu’il n’y avait pas rupture radicale, comme on le croyait encore largement au début du XXe siècle, mais bien continuité entre les artistes de l’époque romantique ou réaliste et la génération suivante des impressionnistes.
Sont essentiellement présentées dans ces pages les œuvres de la collection données ou léguées à l’Etat ou à un fonds public. Les œuvres d’artistes connus mais non données par Moreau-Nélaton et dont on a gardé la trace sont également signalées.